Au petit matin bien avancé
Camille vient de se lever. Et le soleil aussi. Derrière la fenêtre, la chaleur semble vouloir pousser l'espagnolette tandis que des doigts de lumière fusent par les interstices du rideau opaque. Elle ne veut pas encore ouvrir le rideau pour que le jour lui fasse surprise quand elle sera prête.
Camille fait sa toilette. Nue devant le miroir elle dit : "Je suis un amour et je vais faire ma toilette". Chaque matin, elle dit cette phrase en se regardant bien en face. C'est un mantra et cela la met toujours en joie. Un peu d'eau fraiche et quelques passages de gant copieusement garni d'un savon à l'amande douce, un coup de peigne pour sa longue chevelure, et le tour est joué. Derrière la fenêtre, le soleil s'impatiente et les bruits de la ville se font plus pressant.
Et maintenant, Camille se passe doucement la main dans l'entrejambe et se caresse. Elle s'observe dans le miroir et contemple son visage mu des gémissements de plaisir. Puis, viennent de longs soupirs, un peu retenus car les cloisons de son petit appartement ne sont pas bien épaisses. Contentée, elle s'habille enfin et dit : "J'ai fait ma toilette et je suis un amour". Chaque matin, elle s'accorde cet intime moment qui clôture le rituel bien rôdé de la toilette.
Camille a peu de vêtement car elle n'est pas riche. Aujourd'hui, ce sera le seul et unique tailleur Chanel que sa mère lui offrit un jour. Avec des escarpins très ordinaires, le tailleur paraîtra moins bourgeois et le rendra plus familier.
C'est le moment du maquillage. Elle retourne vers le miroir de la salle de bain. Juste un peu de mascara et un vieux ricil bleuté. "Maman, je suis un amour, comme toi. Serai-je belle pour ton enterrement ?" Une larme s'extrait de son œil humide, coule le long de son visage et se meurt dans l'évier.
Elle remonte enfin le rideau opaque, ouvre la fenêtre et le soleil éclatant de gerbes dorées se jette sur elle. Elle rit. Puis un chat blanc entre à son tour en miaulant. Elle dit : "Bonjour Chat (c'est son nom), je pars. Profite bien de ta journée. Et rappelle-toi : tout ce que tu casses se paie en croquettes !"
Camille sort. Camille s'en va. La porte claque.
