Dans la voie tantrique, c'est au moment où le réel nous saute à la figure que se manifeste l'inestimable opportunité de briser la routine et la confusion qui nous colle à la peau de jour en jour, d'instant en instant. Le tantra, bouddhique ou autre, n'est pas une voie confortable. Il y a du danger, du doute, de l'incompréhension. Nous ne cherchons pas à être rassuré, à connaître la vérité, ni même à nous évader dans un probable Nirvâna. Les "possibles" n'existent que par la force de notre subjectivité, par la vigueur de notre engagement, par notre désir insatiable d'être là, maintenant, au cœur même des situations, quelle qu'elles soient. Ce qu'on nomme par le doux nom de Clarté ou de Claire-Lumière, ce n'est pas une vérité, ce n'est pas un être ou une chose, ni même une situation exceptionnelle ou radieuse, mais simplement ce qui reste de plus ordinaire, de plus simple et nu et qui par cette absence de qualité ou de singularité passe le plus souvent inaperçu.

C'est pourquoi un aperçu de l'Eveil (dit-on canoniquement) reste le plus souhaitable des moments d'existence, en tant qu'une étonnante rupture qui -paradoxalement- nous relie à l'intimité la plus secrète de notre être, à la proximité silencieuse de tous les vivants, hommes, bêtes, végétaux, étoiles... "Ne rien prendre" au cours du parcours méditatif, c'est au contraire prendre un risque, le risque d'être là soudain, sans support, sans savoir quoi faire ni où aller. Étrangement, lorsqu'on ne sait quoi faire ni où aller, un acte émerge spontanément, une voie se dessine... un engagement est avéré, sans restriction et en symbiose avec tout ce qui vit. Non, non, ce n'est pas la liberté! Mais le chemin d'une libération.

Apprendre à méditer, c'est de la technique. C'est nécessaire parce que nous avons un corps qui réclame de l'attention, un esprit qui cherche la paix, un cœur désirant de l'amour... C'est un premier pas. Un peu comme l'on dit "bonjour" au passant que nous sommes chacun. Et après? Au-delà, il nous faut entrer dans le vif du sujet, car c'est le sujet lui-même que nous cherchions tant les objets éphémères de ce monde nous ont déçus, grattés et malmenés. Le sujet est fragile, comme un soldat sans armure, comme un escargot sans coquille. Mais il est vibrant, moelleux, et intrépide. Indestructible parce que non-né, dit-on! Je ne vois pas l'intrépidité tantrique comme une qualité surajoutée à notre palmarès de vertus intransigeantes mais comme la condition secrète et primordiale de notre être intime encore enfoui sous le fatras des bonnes pensées et des dogmes quotidiens.

Quand vos merveilleux jouets mentaux se brisent, qu'en est-il du désespoir ténu qui vous traverse soudain? Quand, après des heures d'entraînement, votre cervelle se boursouffle de myriades de pensées autogènes, qu'en est-il de l'espace sans limite où se tient pourtant votre conscience? Quant au moment de prendre la parole, vous ne savez quoi dire, que faites-vous de cette porte grande ouverte?