On peut juger de l'efficience d'une voie yoguique autant à ses bienfaits qu'aux désagréments qu'elle engendre. Lorsque vous vous entraînez à la méditation, et notamment à celle qui consiste à permettre l'union des deux nadis dans le canal du centre. Cela peut occasionner au début un certain nombre de difficultés. Il est important d'en être averti. Les maîtres du passé ont eu coutume de ne donner à leurs élèves que peu d'indications sur les bons et mauvais effets à court terme des pratiques qu'ils enseignaient. La raison à cela est simple : éviter tout conditionnement préalable dans l'esprit de l'élève. En effet, si vous saviez à l'avance ce qui va se produire au cours de l'entraînement, vous auriez tendance à orienter vos attentes et passeriez sans-doute à côté de l'essentiel de l'expérience.

Mais le monde a bien changé depuis, et chacun connaît ou peut connaître presque tout sur tout! Du moins le croit-on. Je n'ai pas de certitudes sur le bien-fondé ou non d'une circulation mondialisée d'informations qui étaient autrefois tenues partiellement secrètes. Ce qui est sûr, c'est que désormais nous devons faire avec. La diffusion en masse de ces pratiques par les maîtres contemporains n'est sans-doute ni une bonne ni une mauvaise chose. Cela augmente l'accessibilité des enseignements. Et cela en augmente aussi le risque de leur dévoiement à divers degrés.

Pour en revenir au sujet, les maîtres disaient unanimement : "Quoiqu'il se passe, ne t'attache pas aux expériences, laisse-les aller telles qu'elles sont venues. Toutes les expériences sont des impressions de l'esprit, vides, éphémères, sans substance..."Voulaient-ils minimiser la valeur de ces diverses expériences? Ou bien souhaitaient-ils souligner la prééminence de l'entraînement spirituel? En tous cas, il s'avère qu'il existe bien un schéma commun aux êtres en ce qui concerne l'éveil de la conscience par le yoga, ou plutôt "les" yogas, même si cela reste diversement symbolisé selon chacun, les cultures, les époques. Toujours selon ces maîtres, au long du chemin, toute expérience est considérée comme transitoire. Toute expérience devient obstacle si l'on s'y attache, si l'on tente de se l'approprier comme réalisation finale, si on l'étudie en détail ou à outrance.

Aujourd'hui, en raison ou à cause de toutes les informations dont nous disposons et qui demeurent aisément accessibles, je crois qu'il est sage que chacun soit averti des difficultés qu'il peut rencontrer au cours de sa pratique. Voici un petit panorama de difficultés que vous pourriez rencontrer les premiers jours ou premiers mois, lorsque la méditation commence à produire ses effets. Ce n'est pas une liste exhaustive, et j'essaye de rester le plus généraliste possible, sachant que la perception de chacun diffère de celle de son voisin :

- Apparition de souvenirs douloureux

- Surgissement d'émotions nouvelles et déstabilisantes

- Réveil de maladies anciennes physiques et psychologiques

- Douleurs physiques

- Inappétence et/ou excitation sexuelle

- Dépression et/ou hyperactivité

- Angoisse, phobies

- Désespoir passager

- Sensations de type paranoïaque

- Hallucinations infernales et/ou paradisiaques

- ...

Bon, je m'arrête là, sinon ça risque de devenir décourageant ;o) Mieux vaut tenter de donner quelques explications. Au tout début, tout semble formidable. C'est un peu comme un départ pour un long et beau voyage. Enthousiasme mis à part, nous entreprenons toutefois ce voyage avec beaucoup trop de bagages, et des boulets, et des casseroles attachées à notre véhicule. Il y a des cordes qui se brisent, des remorques qui demandent à être désamarrées... Et c'est ce qui arrive si l'on persévère. C'est un processus naturel de détoxication. Il est directement lié à la pratique de méditation. Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter, et au contraire de se réjouir. Comment cela fonctionne t-il? Ce qui nous motive à méditer est précisément ce qui nous aliène. Nous devons donc nous en débarrasser si nous voulons avancer sereinement, vite et bien. Mais comme c'est aussi ce qui nous motive, nous ne pouvons pas nous en défaire trop tôt au risque de perdre ou d'altérer cette motivation. C'est le paradoxe de l'état de folie ordinaire dans lequel nous sommes actuellement. Il nous faut accepter le changement et en même temps rester concentré sur notre but. Accepter la coupure d'avec nos habitudes et autres petites névroses sans désolation, et tendre vers le but sans crispation. Une fois que la détoxication commence, notre motivation change et le but devient plus clair. La remise en circulation du prâna dans les nâdis, avec tous ses affluents opère comme un ramonage ou un nettoyage dans notre être holistique. Cela intervient sur le corps physique, émotionnel, mental... Reprenons la liste :

Les souvenirs douloureux (qui n'en a pas?) sont des expériences négatives que nous avions refoulées. Le refoulement est un fonctionnement automatique de l'esprit qui permet de maintenir par l'oubli ou l'inhibition un certain équilibre. C'est en fait un processus de conservation, un peu comme on congèle des restes de nourriture. Si nous étions éveillés, nous pourrions nous libérer des expériences négatives au fur et à mesure qu'elles se produisent. Mais pour l'instant, ce n'est pas le cas. Alors, nous stockons. C'est-à-dire que l'énergie de ces expériences se trouve partiellement neutralisée ou immobilisée, échappant ainsi à la conscience (quoique partiellement). Quand le prâna pénètre dans les nadis obstrués par ces énergies aliénées, celles-ci se remettent en action et suivent alors leur parcours initial provoquant ainsi le surgissement des souvenirs qui y sont attachés, avec leur lot de symboles, d'impressions, de sentiments, de réflexions, etc. Plutôt que d'entrer dans des descriptions compliquées, je voudrais dire qu'à ce moment-là la charge émotionnelle négative de ces souvenirs se libère, ce qui signifie que cette souffrance est en train de disparaître à jamais. Du moins est-ce une occasion merveilleuse. Hélas, nos conditionnements mentaux faits d'habituations et de croyances nous poussent à re-créer le processus de cette souffrance alors qu'elle est en passe de se dissoudre. Il est important d'être averti de ce processus pour pouvoir s'offrir la chance d'abandonner, de laisser partir la douleur. Les émotions déstabilisantes surviennent à la suite de la pénétration du prâna dans des nadis pas forcément obstrués mais qui n'ont jamais été "irrigués". C'est un peu comme faire la découverte d'un nouveau monde, avec des habitants totalement différents de nous, une nature et des choses inconnues. Le fait que ces émotions soient déstabilisantes tient en votre propre personnalité qui a besoin de sécurité, d'un monde connu et fiable. En l'occurrence, ces émotions provoquent une remise en question très puissante de "ce" que vous êtes. Et vous resterez déstabilisé tout le temps que vous n'aurez pas reconstruit votre propre image (aliénation) ou renoncé à elle (libération).

La résurgence de maladies anciennes (ou l'apparition de nouvelles) résulte également de la pénétration des nadis. Les maladies ont un rôle. Ce sont elles qui permettent l'équilibre précaire et la survie dans le monde des phénomènes. Elles signent moins un problème qu'elles n'indiquent une voie à suivre. Ces maladies seraient apparues de toute façon. Ici, elles sont stimulées par l'accroissement énergétique. Réjouissez-vous car elles viennent à point nommé au moment précis où vous voulez vous débarrasser de la souffrance! C'est un gain de temps très précieux. Comme pour la charge des souvenirs enfouis, elles vont disparaître à jamais.

Les douleurs physiques sont de deux sortes, celles dues à l'apprentissage de postures inhabituelles et celles dues à la pénétration du prâna dans des nadis rigidifiés ou amorphes. Il est facile de les distinguer. Les premières se reconnaissent morphologiquement en lien avec les efforts physiques à produire. Quant aux autres, les plus déterminantes sur le plan de la purification énergétique, sont relatives à l'état des canaux subtils nouvellement investis. Il n'y a rien de plus à faire que d'accepter ces douleurs passagères. Elles disparaîtront d'elles-mêmes au fur et à mesure du nettoyage.

L'inappétence sexuelle est due à la transformation de l'énergie sexuelle. Elle ne disparaît pas mais se trouve détournée dans son parcours. Liée originellement aux fonctions de reproduction, l'énergie sexuelle est la forme la plus métabolisée du prâna avant le corps physique dont elle est censé engendrer les moyens de procréation. Pour l'humain, le désir de procréer et celui de la jouissance sexuelle sont intimement entremêlés. Mais du point de vue du yoga, il s'agit de deux fonctions énergétiques différentes, même si elles sont en constante collaboration. La "réorganisation" des flux de ces énergies provoquée par l'investigation des chakras racine et du nombril engendre une libération du désir de jouissance qui s'oriente spontanément vers la quête spirituelle. Il en résulte que cette notion d'inappétence n'est pas éprouvée comme telle par le yogi mais au contraire comme un rassasiement, un contentement. Il n'y a donc pas lieu de s'en désoler, sauf si on souhaite ardemment s'intégrer aux modèles de sexualité contemporains véhiculés par les médias ;o) Cela reste toutefois une certaine difficulté car, tant que cette énergie ne sera pas totalement transformée en ouverture aux autres, en empathie universelle, en amour philanthropique, l'inappétence (apparente) sera source peut-être de quelques soucis, par exemple dans le cadre d'une vie de couple, ou bien parce qu'on voudrait être aimé tellement plus qu'on aime soi-même. L'inverse est également possible. En effet, la séparation des deux énergies peut exacerber le désir sexuel. Cela peut induire la quête de "samadhis orgasmiques" (ce qui n'est pas tout-à-fait l'espace lumineux de la Claire-Lumière!) et engendrer une certaine confusion quant au but de la pratique. Les femmes ont la chance d'être plus subtiles que les hommes dont le désir est fortement conditionné par la production spermatique. Ce paragraphe concerne donc les hommes au premier chef.

La déprime et/ou l'hyperactivité sont dues au fait que le mental ne parvient pas encore à considérer les expériences comme vides de toute réalité en soi. Soyez patients, et observez attentivement le mouvement impermanent de tout ce qui survient, encore et encore. J'ai écrit plusieurs billets sur ce que l'impermanence a à nous offrir. Le Vide, que dans notre quête de solidité et de validation égotique nous fuyons sans-cesse, n'est pas un déficit, un néant, une désolation, une source d'effroi... mais la matrice pure et inaltérée de tout ce qui est ou surgit. Il est la Maison-Dieu de toute chose, un espace totalement ouvert, nu et accueillant.

Angoisses, phobies... sont à relier aux apparitions momentanées des souvenirs douloureux et résurgences de maladies. Là encore, c'est une difficulté du mental à s'adapter aux mutations organisées par la mise en mouvement du prâna. Cela ne durera pas.

Le désespoir passager est celui du drogué qui réalise soudain qu'il ne touchera plus jamais à sa drogue. Il sait que c'est une bonne chose, mais son corps en réclame encore. On doit apprendre à renoncer. Tous les choix comportent leurs "petites mutilations". Mais c'est une très bonne difficulté car elle signifie que vous avez déjà gouté au samâdhi et que vous savez intimement dans quelle direction aller. Alors, allez-y!

La paranoïa vient ici avec la perte partielle de repères corporels, mentaux, émotionnels. L'ego est désorienté car son discours habituel et son monde magique ne sont plus entièrement valides. Vous avez besoin de vous reconstruire une nouvelle histoire, un nouveau monde. Hélas, ça ne sera pas meilleur. C'est donc une difficulté importante. Essayez d'être plus observateur et de vous concentrer sur la pratique elle-même. Méditez sur le Vide. Apprenez à lâcher-prise sur tout et de façon continuelle.

Les hallucinations n'ont pas beaucoup d'intérêt. En fait nous sommes constamment envahis d'hallucinations que nous prenons pour la réalité. Tout ce que l'esprit projette est hallucinations. A cause de la méditation, en voici simplement de nouvelles. Nous faisons une distinction mais il n'y a rien de changé au fond. Parfois, certaines personnes prennent ces nouvelles expériences pour la réalité, les opposant à ce qu'elles vivaient et comprenaient avant. Elles pensent avoir obtenu une révélation, une grâce divine... et se mettent à écrire des livres et faire des conférences. Mais entre les hallucinations d'avant et celles d'après, c'est blanc bonnet et bonnet blanc! Sachez seulement que tout cela est normal et résulte des nouvelles investigations du prâna dans votre corps subtil. Laissez-les aller.

Il y a bien d'autres difficultés singulières à surmonter. Mais les joies et les avancements rencontrés sont largement supérieurs à tout cela (ouf!) Il est bon tout de même de connaître l'existence de ces difficultés, car leur apparition éveille notre capacité d'auto-évaluation. Elles sont des guides. Et aussi les prémices d'une vie meilleure.

D'ailleurs, joies et avancements sont aussi des guides et des prémices. Si ce billet vous plaît, j'en ferai un autre sur le bonheur et les bons développements de la méditation.