La plupart du temps, le suicide intervient comme une solution radicale pour mettre fin à un état de profond désespoir, d'affliction, de dépression. Mais il y a aussi des suicides soudain survenant en réponse à une situation nouvelle apparemment insurmontable.

Cette douze derniers mois, vingt suicides à France-Telecom. Un suicide par jour chez les agriculteurs, sans parler des artisans qui les concurrencent de près. Deux suicides d'enfants ces jours-ci...

Je ne tiens pas à parler spécialement du suicide mais à propos du désespoir, soudain ou lancinant, supposé être à son origine, suggérer que la méditation peut apporter un soutien valide à toute personne en détresse, d'une autre manière que les voies conventionnelles.

L'espace intérieur

Il nous manque aujourd'hui, en raison sans-doute d'une relation à l'être de plus en plus superficielle et médico-matérialiste, et aussi de l'incessant dévoiement du repérage du sacré, le maintien d'un "espace intérieur" qui serait émaillé d'une tendresse muette et d'un bien-être simple et clair. D'accord, l'expression "espace intérieur" est désuète mais tellement évocatrice! Quand l'être n'est pas au cœur des relations sociales, cet espace intérieur se trouve bien souvent méprisé, rejeté, et parfois nié. Or, c'est là seulement que les avancées lumineuses de notre vie prennent leur source et qu'elles peuvent s'actualiser dans le monde des apparences. Que l'être ne soit pas au cœur de la société n'est ni plus ni moins une néantisation de l'humanité. Tout-de-même, nous ne sommes pas que des "êtres extérieurs", des marchandises, des cochons à engraisser ou des esclaves corvéables à merci! Nous sommes cela aussi, mais seulement lorsque nous l'acceptons, car le refuser c'est parfois mourir... Pardon pour les évidences.

Chacun protège instinctivement la prunelle de ses yeux mais néglige parfois son espace intérieur. Il existe dans la méditation un enjeu crucial autant qu'une incontournable nécessité (ah c'est parfois un défi!) : protéger et chérir cet espace intérieur, son propre espace, de telle sorte qu'on puisse y prendre refuge, s'y ressourcer, s'y baigner, s'y reposer... Quand cet espace est endommagé, nous ne pouvons faire face aux stress engendrés par les luttes et les (op)pressions sociales et économiques. Il devrait être et rester lumineux et ouvert, et nous devrions tout tenter pour cela.

En essence, L'espace intérieur est magnifique, fragile aussi. La méditation nous met en contact simultanément avec ce qu'il y a de plus beau et de plus doux en soi mais aussi de plus délicat et vulnérable. C'est pourquoi, nous avons besoin de le protéger comme la prunelle de nos yeux. Les yeux : pas seulement le miroir de l'âme, mais aussi son périscope, n'est-ce pas? L'espace intérieur est de même. C'est une ile, un continent même, où l'on peut accoster et "être", et aussi d'où l'on peut s'élancer avec entrain, ayant goûté mille fois à sa paix inhérente, à sa clarté sans concept, à son innocence malicieuse, ou encore à son intelligence sans savoirs. Curieusement, l'idée de protéger l'espace intérieur, alors qu'on nourrit peut-être à son égard les plus fébriles incertitudes ou bien les aspirations les plus insensées, nous permet d'éprouver son immanence, provoquant ainsi une (re)connexion, une sorte d'auto-rencontre. J'évoque ainsi cette intention de protéger l'espace intérieur en amont de sa quête, ce qui est, j'en conviens plus romantique qu'une investigation systématique. Mais dans l'urgence, les réponses élaborées sont inappropriées. De plus, lorsque notre esprit se tourne vers la préservation et la protection (ce qui se relie à l'amour), les découvertes lumineuses (ce qui se relie à la sagesse) n'en sont pas si éloignées. L'inverse reste un possible, mais moins aujourd'hui.

Les refuges actuels, chacun le sait, sont dépourvus de fraîcheur, d'intelligence et de douceur structurante. Ces sont des enclos sans âme, des prisons emplies d'objets factices, des fatras d'idées sans pertinence, des lieux d'avilissement nous livrant séant aux prédateurs, prédateurs que nous savons être aussi quand se présente l'occasion. De tels lieux n'ont aucune orientation vers la préservation. Et moins encore vers l'anonymat et l'épanouissement en singularité. Enfant, je jouais souvent au loup ou à cabane. Oui bon... j'ai arrêté depuis un moment! Non-pas que j'ai vieilli mais que mon mode opératoire a changé. Pas évolué, juste changé. Sais-tu comment dire "cabane!" lorsque le côté obscur de la Force te harcèle? Sais-tu le dire quand, au bord du désespoir, tu n'as plus ni force ni intention de vivre? Cela s'apprend.

Dans la méditation, l'épanouissement de l'espace intérieur est proportionnel à l'attention amoureuse qu'on lui porte (bhakti). Puis il se cultive, se maintient ouvert et se choie ardemment. Plus qu'une défense ou une protection contre le désespoir (ce qui n'est déjà pas si mal!) il est le socle de l'esprit, de la parole et même du corps, le lieu sacré d'où l'on s'élance -non, pas à la conquête du monde, ça suffit comme-ça!- mais dans l'ordinarité du fait d'être là, présent, acteur et contemplateur, dans cette danse du monde, y compris ses chutes, ses approximations, ses vertiges autant que ses improbables certitudes.

La méditation n'est pas un remède au suicide. Ce n'est pas un médicament mais une autre approche, une voie intime et libératrice, un chemin d'autonomie relationnelle, et finalement une chance inouïe d'être en route vers l'état naturel, condition primordiale sur laquelle aucun discours ne pourrait tenir, et que rien ne saurait justifier, valider, invalider... Un retour vers soi en quelque sorte (et pour faire dans le galvaudé!)