Ecole de Adi Yoga - Nantes et Ile de France
 
Jour 230

Jour 230

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L'église est à deux pas de l'appartement de Camille. Lorsqu'elle y parvient, le corbillard est déjà devant le parvis et une petite troupe l'attend. Elle rejoint aussitôt son père, visiblement envahi de chagrin. Deux hommes le soutiennent, Rodrigo, un cher ami de la famille et un autre qu'elle ne connait pas.

Camille prend son père dans les bras et le serre très fort. Il dit en retenant ses larmes : "Tu as mis le tailleur. C'est bien..." Elle répond que oui et que tout son cœur est avec lui. "Bonjour Rodrigo, comment vas-tu ? Merci d'être là", dit-elle soudain pour se dégager de l'émotion de son père qui devient envahissante.

"Ça va, dit l'homme, et en même temps je suis tellement triste !" Rodrigo est espagnol et vit en France depuis bien longtemps. Il a fui la dictature sévissant dans son pays avec ses deux filles, son épouse ayant été arrêtée, torturée puis tuée sans procès. Ils furent recueillis par Mathilde, la maman de Camille, qui était à l'époque travailleuse sociale.

Mathilde était souvent seule à la maison, son mari parcourant le monde pour son travail d'explorateur. Ils se sont peu à peu rapprochés. Et ces dernières années ils avaient pris l'habitude de se retrouver dans la maison de Mathilde tous les jeudis après-midi pour bavarder et jouer des parties de gin rami ou de belote marseillaise. Les jeudis pairs, ils buvaient du vermouth bien frais, et les jeudis impairs un vieux porto avec des gâteaux secs. C'était devenu une tradition et il fallait qu'un d'entre-eux fusse bien malade pour y déroger. Il est vrai que Mathilde avait le cœur fragile. Elle fit ces derniers temps quatre "infractus de la cocarde" comme elle se plaisait à dire d'un air amusé. Le cinquième l'emporta sur le coup. Ce n'était pas un jeudi.

Camille prend à nouveau son père dans les bras et essuie ses larmes tandis que les deux hommes s'éloignent à pas discrets. Il y a là deux vieilles dames, immobiles et qui observent la scène. Elle ne les connaît pas, sûrement des amies de sa maman.

"Bonjour Camille", dit le curé en s'approchant de la jeune femme.

"- Vous êtes bien élégante, et je vous adresse toutes mes condoléances en ce jour difficile que bénit le Seigneur.

- Mon père, je veux faire honneur à ma mère et je ne vois pas cette journée comme difficile mais décisive. Un grand départ... Vous voyez, il y a très peu de monde et c'est bien ainsi."

Elle reprend :

"M'aiderez-vous à m'occuper de l'âme si malheureuse de papa ?

- Bien-sûr ma fille. Vous pouvez aussi prier pour lui, n'est-ce pas ?

- Mon père, à chacun son métier. Je ne sais pas prier, je suis trop joyeuse pour ça !"

Un silence gêné s'installe. Elle ajoute : "Je crois que tout le monde est là. Nous devrions commencer." Le prêtre fait un signe de tête aux porteurs raides et gris, puis se retourne vers la bouche béante de l'église. La petite troupe s'assemble derrière le cercueil suivi de Mathilde et de son père lui donnant le bras.

Et en quelques instants, la petite église les engloutit tous.

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