Ce matin quelqu'un m'a dit :

Je suis très motivé pour la méditation, mais s'il n'y a pas une personne qui me pousse ou me tire, je suis incapable de me lever plus tôt pour méditer. Je vais directement au café prendre mon petit-déjeuner et retrouver mes amis..."

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Mais justement! C'est aux fainéants, aux éclopés, aux malades, aux oubliés de la vie, à tous les autres qui sont pleins de défauts... que s'adresse cet atelier! Bien-sûr, l'idéal serait de se lever tôt, de se préparer, avec énergie et entrain, et de se lancer à jeun dans l'entraînement. Mais ça reste un idéal. Pour y parvenir, encore faut-il y trouver du plaisir et avoir la certitude que ce chemin soit bon.

Rien n'est plus déprimant que d'espérer atteindre un but et de ne trouver en soi que de maigres ressources. L'espoir est plus joyeux que le désespoir. Mais parfois il entretient seulement l'habitude, la routine, le conformisme, voire même une certaine forme d'agonie psychologique. Je veux dire par là que l'espoir n'est pas porteur de sagesse et qu'il peut tout aussi bien consolider une situation figée et nous maintenir dans la torpeur d'une existence insatisfaisante. Imaginez ce que seraient les sentiments d'une méduse longeant les abords d'une plage, ne sachant quelle direction prendre pour retrouver la fraîcheur de l'onde...

Ce fut aussi mon expérience. Lorsque j'ai découvert le Vajrayâna et que j'ai désiré fortement m'y impliquer, j'ai vu aussi l'immense travail à accomplir : les pratiques préliminaires, les sadhana longues et compliquées, les retraites... Et cela m'a vraiment découragé. Je ne me sentais pas du tout à la hauteur, et comme beaucoup d'autres compagnons j'avais tendance à croire qu'il me faudrait plusieurs vies avant d'espérer voir le bout du tunnel! Et bien-entendu cela ne m'offrait pas la moindre garantie de succès. Aucune compagnie d'assurance n'accepte de prendre en charge les risques d'échec pour les apprentis yogi! Ça semblait insurmontable. Mais j'étais tellement désespéré que je m'y suis mis sans hésitation. Ce n'est pas du courage, mais de la chance. Le désespoir était ma grande chance, un véritable trésor. Et je n'ai aucun regret aujourd'hui. Je ne fais pas cet aparté par provocation mais pour signaler qu'aucune situation défavorable est inexorable. Bien-sûr, je ne souhaite à personne de se trouver paralysé à cause de ses défauts et autres imperfections. Comme je viens de le dire, à moins d'être désespéré au point de vouloir mourir, ça n'a aucun intérêt ni aucune valeur.

agnes_boulloche_AUTOPORTRAIT_COCHON.jpgLe principe tantrique qui anime la méditation est le suivant : Dans le cochon, tout est bon! Vous voyez ce que je veux dire? Le cochon représente ici l'ignorance, c'est-à-dire notre incroyable propension à faire semblant de ne rien comprendre, à nous détourner de notre intuition, à être hypocrite... et surtout à nous impliquer dans des situations dont nous savons qu'elles vont nous faire souffrir à terme et faire souffrir les autres. Le cochon mange tout ce qu'il trouve : il laisse son groin traîner parterre et engloutit presque sans différenciation tout ce qu'il rencontre. Mais dans le cadre du yoga de la Claire Lumière (entre-autres bien-sûr!) les défauts sont considérés comme des distorsions conjoncturelles et non comme des tares fondamentales. Par conséquent, il existe dans ces distorsions une énergie capable de modifier totalement le cours de notre existence. Nous pouvons transformer ce "cochon symbolique" en nourriture. Mais nous devons commencer par le tuer. C'est ce qu'on appelle le renoncement : renoncer à rester dans cet état d'ignorance pour mettre un terme à notre insatisfaction fondamentale. Hélas, certains relents de notre vieille culture nous incitent à croire que nous devons absolument respecter des règles contraignantes et la plupart du temps frustrantes. Cette vision procède d'un manque d'imagination, et c'est peut-être une forme d'abdication en faveur de dogmes humainement douteux. Le renoncement est source de joie. Il provoque un sentiment de libération. Un peu comme si l'on sortait de prison.

Il faut du temps pour réaliser qu'un défaut cachait une qualité. En fait, il est nécessaire que cette qualité apparaisse pour comprendre qu'elle en était l'autre versant ou la face cachée. Aussi, dans la méditation comme dans les autres domaines de la vie, il est dommage de céder à la tristesse ou aux regrets sous prétexte qu'on ne se sent pas à la hauteur de son idéal ou du but. Mais ce manque de hauteur signale simplement qu'on a encore besoin de regarder plus près du sol pour apprécier la grandeur du Ciel! Il n'y a donc pas de problème, et demain tout sera différent.

Allez! Soyons pragmatique : Vous êtes tombé(e) amoureux(se) de votre édredon? Qu'est-ce qui vous barbe : quitter l'édredon ou méditer? Quel bonheur de se prélasser au lit... bien au chaud... de s'éveiller tout doucement, et peut-être dans les bras de son ou sa partenaire... Après tout, j'y vois une belle qualité : l'aptitude à goûter aux bienfaits d'un moment particulier et à y prendre du plaisir. Pour le stoïcien, c'est un défaut, pour l'épicurien une qualité. Une fois conscient de l'autre versant de nos défauts, même d'une façon artificielle, ce qui est toujours le cas dans l'entraînement de l'esprit- nous pouvons mettre tout cela en perspectives et trouver des issues harmonieuses. Vous voulez ne plus faire qu'un avec l'édredon? Eh bien méditez sur la nature de l'édredon, ou bien sur celle de vos sensations!

J'inspire... la pensée "hmmm! doux est l'édredon..." est connue. J'expire... la pensée "hmmm! doux est l'édredon..." est connue.

Cette façon de pratiquer la méditation reste dans la logique du billet précédent  sur l'attention au souffle (anapanasati). Vous aurez ainsi fait d'une pierre deux coups : profiter du moment présent et tout autant d'un instant de pleine conscience sur vos sensations.

A terme, la pleine conscience finit toujours par l'emporter sur le plaisir. Par conséquent, tôt ou tard, vous désirerez bondir de votre lit pour méditer! Alors vous aurez avancé d'un pas... sans effort, sans souffrir, sans être tiraillé(e) ou culpabilisé(e). C'est un moyen habile.

Finalement, tous les moyens habiles, les bodhi-toys produisent des effets bénéfiques. Il suffit de suivre le mode d'emploi. Et de faire preuve d'un peu d'imagination quand-même!

Crédit photo : Autoportrait cochon de Agnès Boulloche .