Ecole de Adi Yoga - Nantes et Ile de France
 
Jour 123

Jour 123

J'ai vu le médecin ce matin. Bonnes et mauvaises nouvelles. Elle m'a trouvé plus en forme, la perte de poids est stoppée et je supporte correctement la chimio. La mauvaise nouvelle est que j'ai des coulées ganglionnaires sur le cou, des deux côtés, plus à droite. Elle pense que le cancer s'est étendu par là. Dans une semaine, je passerai un tep-scann déjà programmé et on en saura plus. Mais si c'est sérieux, je crois qu'ils vont vouloir faire une nouvelle biopsie pour analyser le contenu. Voilà, c'est triste et je ne sais pas quoi vous dire de plus sur la situation. En ce moment, je me dis "tous ces efforts pour en arriver là..." Mais je sais aussi que ce n'est qu'une émotion, et donc pas forcément ajusté à la réalité.

Bien sûr que je ne souhaitais pas cette nouvelle épreuve. Mais le samsâra est ainsi. Tu crois que ça va aller, et encore une tuile arrive, puis une une tuile, puis une tuile... C'est sans fin.

C'est pour ça que, même si le dégoût du samsâra et le désir d'atteindre la Libération devraient être l'unique motivation d'un être humain pour qu'il ait ses chances, il ne peut en rester là. On doit progresser en direction des enseignements les plus élevés et de sens définitif (formalisés dans l'Ekayana et le Vajrayana). C'est seulement sur ce magnifique terreau qu'un individu peut réaliser qu'il n'existe pas la moindre différence entre le samsâra et le nirvana. C'est comme les deux faces d'une pièce de monnaie et le Sadhaka, surtout le Bodhisattva doit apprendre à vivre sur la tranche de la pièce, renonçant à un côté comme à l'autre. Curieusement, être sur la tranche est le seul moyen de ne pas être tranché et coupé en deux. La dualité ne s'y tient pas. Et l'on résumer cela en déclarant que le nirvana repose sur la réalisation que le samsâra et le nirvana son UN.

En fin de compte, l'éveil et le grand bonheur qui l'accompagne sont le reflet d'un état d'esprit et non le produit d'un enchaînement causal. Alors, quand je suis triste, "quelque chose" regarde à l'intérieur et aussi alentour pour rester avec la Claire-Lumière, et quand tout va bien "cela" regarde à l'intérieur et alentour la misère universelle, la mienne semblant si pathétique à la jauge des souffrances interminables qui étendent leurs manteaux sur tous les êtres.

Quand le tranchant est affuté comme le fil du rasoir, il est réalisé qu'il n'y a rien à trancher. C'est l'expérience de la totalité, l'appréciation frémissante de ce-qui-est.

C'est pour ça que je suis triste et bienheureux en même temps, ce qui est une façon maladroite de le dire. Je ne sais pas décrire et encore moins expliquer cela. C'est par trop mystérieux et dépasse le conceptuel et la parole. En résumé, peut-être pourrais-je dire que sur "le tranchant" aucune réponse n'arrive mais la question a également disparu. Ou bien "Enfin une réponse à la question qu'on ne se pose pas !" L'apanage des Vainqueurs, dit-on.

"Vainqueur" est aussi partie de mon nom : Jina en sanskrit, Jeet en Gurmukhi. Ça fait plutôt balaise comme costume à remplir... 😉

Une fois de plus, je vais essayer de vivre simultanément comme si j'allais mourir maintenant et m'engager dans mes rêves pour l'éternité. C'est bien, ça, non ?

Je pense à Gopi Krishna dont la Kundalini s'était éveillée en quelques instants, ce qui m'arriva aussi il y fort longtemps. Il raconte qu'il lui fallut ensuite accepter et vivre les harmonisations de chaque chakra, un à un, ce qui lui valut nombre de souffrances, exigeant une infinie patience, une vision pénétrante et beaucoup d'amour. Parfois, cela nécessita huit ans et plus pour un seul chakra ! En fait, l'élévation de la Kundalini, et à condition que cela se passe bien (ce qui est rarement le cas), c'est un peu comme ouvrir la boite de Pandore. Quand c'est ouvert, tu dois assumer, tu n'as plus le choix, et reculer engendrerait un enfer bien plus grand et la décadence.

D'ailleurs, d'un point de vue plus général, on ne devrait pas s'engager dans un Dharma tantrique à moins d'être prêt à donner sa vie pour cet engagement car abandonner rendrait l'existence plus exécrable que la vie d'avant. Il faut bien méditer, étudier et réfléchir avant de s'engager. Tous les maîtres authentiques l'ont toujours dit.

Sinon, le mieux serait de procéder comme le font nombre d'entre-nous, et je ne trouve pas cela critiquable, en repeignant sa "prison samsârique" en doré. Et quand ça s'écaille, on remet un coup de peinture. J'appelle ça le "Standby-Dharma". C'est mieux que rien parce que la porte du cœur reste entrouverte et il y a toujours moyen par les rencontres et les épreuves de s'auto-éduquer petit à petit. Des qualités ordinaires, comme la perspicacité, l'honnêteté, le courage et la patience sont alors déterminantes pour espérer le début d'un switch. La qualité du pinceau, on s'en fout un peu...

PS Je me demande si je n'aurais pas écrit plus pour moi que pour vous, mais je crois aussi que vous me pardonnerez.

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