Ecole de Adi Yoga - Nantes et Ile de France
 
Jour 171

Jour 171

Quelques temps avant que se déclare bruyamment ma maladie, j'avais pris l'habitude durant les étirements précédant la sadhâna du matin de me caresser les bras et les jambes et de les embrasser. C'était une de ces périodes récurrentes où j'éprouve la joie d'être vraiment "décollé" de mon corps. Je le redécouvrais comme un "autre", une sorte de véhicule dont j'étais l'heureux conducteur. Je réalisais aussi tout ce que je lui avais fait subir pendant toutes ces années sans qu'il me laisse tomber tomber pour autant, ce malgré quelques ronchonnements bien légitimes. Ce fut une période très heureuse. D'abord par le fait de ne pas être identifié à ce corps (et d'ailleurs aux pensées produites), puis par l'appréhension de la mystérieuse beauté d'une machinerie hyper-sophistiquée et intelligente. Je voulais lui offrir de la reconnaissance et de l'amour, exactement comme on aime "un autre".

Cela a duré plusieurs mois et m'a également poussé à effectuer des mouvements doux plutôt qu'énergétiques de sorte que la méditation pouvait s'inviter avec une grande facilité à chaque posture, à chaque enchaînement.

Et je ressortais de la sadhâna avec beaucoup de force et une clarté spacieuse. Avec du recul, je pense que l'on doit sur le Sentier, à un moment ou un autre, être capable de se "décoller" du corps et de ses pensées, car ce corps aussi précieux soit-il est éphémère et il n'a d'autre destin que la déglingue et la mort. La réciprocité a fait que je me suis également émerveillé de l'esprit, je veux dire de cette chose immuable qui traverse le temps, l'espace et toutes les conjonctures. En fait, le muable montre l'immuable et l'immuable a besoin du muable pour s'objectiver, pour peu qu'on mette de la distance entre eux. Mais quand les deux instances restent collées sans conscience, nous naviguons à vue sur le fleuve de l'ignorance. Cette sorte de schizophrénie temporaire, propre à un stade de la méditation, est à mon avis sacrée car elle est un chemin de lumière où les deux protagonistes trouvent naturellement leurs véritables places et peuvent s'épanouir entièrement.

Comme je l'ai dit hier, l'esprit devrait se "recoller" au corps une fois le voyage effectué. Alors, l'être marche sur ses deux jambes, celle absolue et celle relative. Et rien ne peut le faire chuter.

Dans la schizophrénie ordinaire, au contraire, le mental s'identifie au différents personnages fantasmatiques au lieu de justement s'en détacher et conserver la distance requise. C'est pourquoi je crois qu'il existe pour les schizophrènes une piste à explorer dans le domaine du lien au corps physique, ses matières et ses pensées. Mary Barnes s'est sauvée en modelant son caca pour en faire des œuvres d'art. Ailleurs, d'authentiques chamanes ont sauvé des schizophrènes en les coachant à devenir eux-mêmes chamanes ou sorciers.

Puis la maladie est arrivée, histoire de dire "Oh ! Mais tu ne vas pas t'en tirer comme-ça, p'tit con !"

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