La clarté mentale, ou Claire Lumière, ou Rigpa... n'est pas séparée de l'activité mentale. Mais comme nous nous identifions continuellement au contenu de notre activité mentale, la Claire Lumière reste le plus souvent inaperçue. Cela ne veut pas dire qu'elle n'existe pas, qu'elle "ne se peut pas", ni même qu'elle a disparu comme un objet pourrait être caché à notre vue. Elle est seulement mêlée à notre pensée et à tout ce que nous faisons ou vivons. C'est pourquoi nous avons besoin provisoirement de l'extraire ou d'être capable de faire une distinction entre la clarté fondamentale de l'esprit et le continuum de pensée/émotion qui s'y déploie. On dit également que la Claire Lumière pré-existe au surgissement des pensées. Mais il n'est pas forcément utile de le croire ou de se le répéter. En fait, dire qu'elle pré-existe est une tentative d'explication positive à dessein de nous signaler qu'elle échappe aux lois d'apparition et de disparition. Cette façon d'aborder le sujet comporte un risque : d'aucun pourrait s'imaginer que la Claire Lumière serait quelque chose, telle une essence, une situation, une âme ou pourquoi pas un être divin. Mais ce n'est rien de tout cela. C'est seulement ce qui reste lorsque nous ne sommes plus sous le joug des pensées, et que détendus, nous laissons plus de place à notre propre mental pour voir, goûter, sentir tout "ce qui est". Traditionnellement, nous préférons aborder le statut existentiel de toute chose par la dialectique négative. C'était la méthode du Bouddha : il ne disait jamais ce qu'au niveau subtil les choses sont ou pourraient être, mais ce qu'elles ne sont assurément pas. Libre à chacun, ensuite, de se débarrasser de toutes les faussetés et autres obscurcissements, laissant ainsi émerger "ce qui est".

Cette façon d'affirmer (par la négative) peut être un précieux guide dans notre manière de méditer. C'est un des meilleurs moyens pour s'ouvrir à cette clarté mentale que nous appelons Claire Lumière. En se débarrassant peu à peu de tout ce que Cela n'est pas, on réalise en premier lieu que -finalement il n'y a rien à rechercher, il est inutile de vouloir conquérir une "montagne de clarté", il n'y a pas de voyage à accomplir. C'est un peu comme si vous épluchiez un oignon pour en trouver la substantifique moelle : une peau, puis une autre peau, et encore une autre... A la fin, il n'en reste rien! On a beaucoup pleuré, et on se réveille d'un étrange cauchemar. Les pensées, qu'elles soient bonnes, mauvaises ou bigarrées, surgissent selon leurs propres modalités karmiques, à de multiples niveaux et en accord avec la conjoncture universelle. Et cela sans interruption, ou presque. Lorsque vous méditez, au début, vous devenez plus conscient de cet indomptable continuum. Mais il n'y a toujours pas plus de clarté! Vous êtes seulement plus au fait du problème et connaissez mieux la situation de ce mental qui ne cesse de bavarder, et de ce cœur qui ne cesse de s'émouvoir.

Pensées, émotions... rien de cela ne dure. Cela naît, s'épanouit et disparaît, continûment. Elles se suivent comme se succèdent sans fin les vagues sur la plage. On ne peut les arrêter. Bien que les vagues s'évanouissent une à une, quelque chose persiste : l'océan. L'océan ne peut exister sans vagues, ni les vagues sans lui. Ces deux sont indissociables. La conscience individuelle, expérience momentanée, est semblable à une de ces vagues. Et pourtant, chaque vague est de la nature de l'océan. S'il est stupide d'espérer devenir cet océan que de nature nous sommes déjà, il est tout aussi vain d'espérer survivre à notre statut éphémère de vague. On ne médite pas plus pour devenir une vague éternelle, parfaite, universelle ou indestructible mais seulement pour prendre la mesure de la relation intime existant entre les vagues et l'océan. En un mot pour découvrir la nature de notre esprit, ce qui dit-on peut mettre fin à notre désolation intime, et donc au processus de la douleur et de l'aliénation qui caractérise le monde humain

Mais comment être capable d'observer l'activité de notre mental? Si je deviens conscient de l'activité de mon mental, une nouvelle pensée du genre "tiens! voilà des pensées..." s'ajoute aux autres, et finalement l'activité mentale s'en trouve augmentée. Pour éviter cet écueil, et avancer d'un premier pas dans la méditation, nous devons attacher le mental à un objet comme à un "arbre psychique", une "rive mentale" : c'est le rôle de la concentration (dharan). Il n'y a pas d'observation sans concentration. Sans concentration, l'observation n'est que divagation. C'est intéressant et agréable de laisser l'esprit vagabonder, mais ce n'est pas le propos de la méditation. Pour attacher le mental, il existe des centaines de méthodes efficaces. L'une d'entre elles, très abordable, est l'attention au corps, plus précisément à la posture que nous nous efforçons de tenir au plus parfait. Je suis pratiquement certain que la posture que nous pratiquons à l'Atelier n'est jamais parfaite. Il y a toujours quelque chose qui flanche, se ramollit, se tend, se tord... Vérifiez votre posture point par point, tranquillement, et corrigez ce qui ne va pas. Dites-vous que c'est cela votre pratique d'aujourd'hui. Partez des pieds, et graduellement vérifiez chaque point jusqu'à la tête. Puis recommencez de haut en bas. Ne vous attardez pas trop sur un point, sinon de nouvelles distractions risqueront d'apparaitre. Ne vous tendez pas non-plus et sachez garder l'équilibre entre un esprit ferme et un esprit relâché. Peu à peu, alors que votre mental se focalise sur le maintien de cette posture, et qu'elle devient de plus en plus naturelle, vous allez vous apercevoir que votre champ de conscience s'élargit. Quelque chose s'ouvre, prend de l'ampleur, de l'élasticité et de la légèreté. Et dans ce champ ouvert, vous serez conscient de plus de choses, vous aurez aussi plus d'acuité. Tout en étant concentrés vous verrez encore apparaître des pensées. Elles n'auront pas forcément trait à votre travail de correction et de maintien de la posture mais plutôt à d'autres considérations, superficielles et/ou profondes. Début de nouvelles distractions...

Toutefois, et parce que vous serez conscient de l'apparition de ces distractions, vous serez en fait... non-distrait! Être non-distrait est un état d'esprit largement supérieur au fait d'être concentré et/ou très conscient. Dans l'état de non-distraction la conscience a tendance à perdre ses bords, ses limites, et c'est très important pour la suite de l'entraînement. Elle devient élastique, ouverte, englobante, accueillante... Elle est expansive sans être prédatrice. Grâce à de telles qualités, vous devenez apte à observer l'activité mentale, mais aussi émotionnelle, physique, subtile... et cela déborde largement les frontières de ce que vous croyiez être vous-même auparavant. L'état dominant de votre mental à ce moment-là est la Clarté. Soyez donc attentif : dans l'état de non-distraction, l'expérience est double. Les pensées et émotions sont présentes et suivent leur cours, et l'espace est également présent. L'espace dont il est question est la conscience-même dans son état naturel, dans son activité spontanée d'auto-connaissance. C'est extrêmement clair, simple, nu, sans objet ni poursuite. A ce moment, vous vous apercevrez que les pensées n'obscurcissent pas la Clarté. C'est pourquoi nous disons que la Claire Lumière est inaltérable et non-née. Elle est continuellement là et ne résulte pas d'un processus. A ce moment, vous vous apercevez aussi que la Clarté ne dissout pas les pensées. C'est pourquoi nous disons que les pensées sont auto-libérées. Les pensées se dissolvent d'elles-mêmes, quoique vous fassiez. Quoique vous... pensiez !