Ecole de Adi Yoga - Nantes et Ile de France
 
La Claire Lumière

La Claire Lumière

lumiere-nature- "Qu'est-ce que la Claire Lumière ?

- C'est ce que vous êtes vraiment. Cela n'est pas une chose, un être suprême, un concept, une situation... Juste ce que vous êtes et que vous ne savez probablement pas être !

- Ma vraie nature en quelque sorte ? Comme le disent souvent les bouddhistes ?

- Oui, en ce sens qu'il y a une expérience. C'est différent de l'essence, ou du noumène pour employer des mots occidentaux. Il y a le noumène, le phénomène, et l'indissociabilité des deux. Lorsque cela est vécu pleinement dans sa réalité, je veux dire sans inventions, imaginations, manipulations, on dit Prabhâsvara, Claire Lumière (Össel en tibétain).

- Ça me semble très philosophique. Mais j'aimerais saisir ce que cela peut apporter dans la vie ordinaire. Est-ce une forme de compréhension ? Ou autre chose ?

- La Claire Lumière est une expérience continue. C'est l'état primordial de notre esprit mais en même temps quelque chose que nous vivons. Nous connaissons ou reconnaissons la condition fondamentale de notre esprit, de tout notre être d'ailleurs. Et cette condition est une non-condition. La quête du bonheur, comme la crainte du malheur prennent fin. Il n'y a pas de mot valable dans aucune langue du monde pour exprimer cela.

- Est-ce qu'on peut dire que c'est une sorte de libération, moksa ?

- Nous pourrions le dire mais il faut préciser toute de même qu'il y a une libération de quelque chose, et non pas vers quelque chose. On ne va nulle part. Rien ne change et tout change. C'est pour cela que je dis que la Claire Lumière est ce que vous êtes "réellement". C'est la cessation d'une blague, d'un malentendu physique comme métaphysique.

Bien qu'il n'y ait pas de mots, et pour se rapprocher de ce qui peut être vécu au quotidien, on trouve parfois l'expression "Joie des joies", là où la première joie transcende la seconde qui n'est en réalité que la joie ordinaire d'être en chemin vers la libération. Cette joie ordinaire, que la plupart d'entre-nous vivent comme plus enviable que la douleur, disparaît pour laisser place à "Ce-Qui-Est". Cela se passe au-delà de la dualité, au-delà de la quête, au-delà des efforts interminables pour s'élever, se réformer, et au-delà même de cet au-delà ! Bouddha disait "la fin des peines, la fin de la peur, la fin de la douleur, le grand soulagement, la cessation, la paix, le nirvâna..."

- En somme, le nirvâna est un monde bien plus enviable que la joie ordinaire qui découle pourtant de sa quête.

- Lorsque nous désirons le nirvâna, nous sommes dans l'envie. Nous y trouvons des ressources pour suivre un Dharma. Et c'est en effet source de joies. Mais le Dharma consiste aussi à se débarrasser de l'envie. Finalement, elle fera obstacle à ce pour quoi nous nous battons avec tant de ferveur.

cube-d-escher- C'est donc un paradoxe. Insurmontable, il me semble.

- Plus que cela, une absurdité ! Le paradoxe révèle une absurdité traduisant une certaine forme de limitation. Il ne peut se résoudre à partir de ses propres données. Supprimez les données, il n'y a plus de paradoxe !

- Un peu facile ! Ces données sont ma réalité. C'est ce que je vis, là, maintenant. C'est moi. Ça me déplait vraiment cette sorte de néantisation. Mon propos est de me libérer, de vivre heureuse, de mettre fin au doute, à la souffrance et de trouver la joie et la légèreté de la vie. Alors, si je supprime cette envie et la quête qui en découle je ne crois pas du tout que je vais m'en sortir.

- Ce n'est pas ce que je suggère. Les données sont relatives. Et vous allez tourner rond si vous recherchez quelque chose de relatif qui ne vous donnera pas satisfaction. Vous resterez dans un système. C'est cela le samsâra : tourner en rond dans un système. On obtient des millions de victoires, de joies, de découvertes, mais il faut sans cesse recommencer, comme Sisyphe. Le samsâra est une situation conditionnée. Il détient sa propre logique et ses ressorts. Mais vous avez raison : on ne peut le nier. On ne peut faire semblant et juste dire : "tout cela est illusion. Pouf ! Y'a plus..."

Pour autant, il n'y a pas de malédiction. La malédiction est une croyance servant à excuser et à adoucir les douleurs de sa propre impuissance. Oui, on peut sortir du système. Cela suppose d'atteindre à une sorte de "non-système", pas à un autre. C'est ce qu'on définit souvent par l'Absolu, le non-conditionné. Ce qui compte, ce qui a un véritable impact dans votre existence, est la manière dont vous considérez le monde relatif. Il existe une approche radicale : le Tantra. Le Tantra dit que si vous goûtez la quête et l'envie comme l'activité même de votre vraie nature, ou nature divine, toutes ces histoires de paradoxes voleront en éclats. Alors, la quête est une joie, le désir est une joie, même la mort et la douleur sont des joies. Ces joies ne sont pars ordinaires mais extraordinaires, Joies des joies. Et pourtant, c'est votre état naturel depuis l'origine. C'est très... ordinaire.

- Ce n'est pas en soi la joie de cheminer mais quelque chose qui accompagne le chemin ? Je veux dire, dans le sens que ce n'est pas le chemin qui est la cause de la joie, mais plutôt ce que je suis réellement et que je découvre en chemin.

- En effet, la joie du chemin est une conception très à la mode dans le samsâra. On rencontre beaucoup de gens qui parlent de la joie du chemin. C'est un faire-valoir. Ils savent déjà, inconsciemment sans-doute, que toute cette agitation, somme toute très plaisante, est vaine et qu'ils n'arriveront pas au bout. La joie de cheminer est un lot de consolation, un prétexte justifiant l'envie, la fascination qu'exerce le fantasme de nirvâna ou de libération sur notre psyché. Il ne s'agit pas de la Claire Lumière, effarante de nudité, mais simplement de la luminosité du désir, la lumière, à la fois sainte et blafarde du samsâra.

moiseUn pêcheur est au bord de la rivière : il installe ses lignes et ronfle paisiblement, bien calé dans sa chaise pliante. Un poisson mord à l'hameçon. Le pêcheur se réveille, prend la bête et lui arrache la gueule pour dégager l'hameçon, le rejette à l'eau et reprend sa sieste. Ce n'est pas un pêcheur, mais un "siesteur" ! Lui demande-t-on pourquoi il pêche qu'il répond : "Oh! Ce sont des moments formidables... La joie de l'attente, la paix, la communion avec la nature..." Il n'y a aucun danger, aucun engagement fondamental. C'est un système où le nirvâna est d'emblée sacrifié, comme la vie du poisson.

Le samsâra est le résultat d'une sorte de malentendu. Vous êtes déjà parfaite, divine, libre, totale. Levez simplement le voile d'abrutissement qui recouvre cette réalité, juste un peu, un instant. Et la joie claire et pure dont je parle vous envahit. Ensuite, votre quête deviendra un service, une célébration, une danse magnifique. C'est cela la Claire Lumière. Tout est sacré. Immédiatement.

- C'est l'ignorance qui masque cette réalité ?

- Oui. Remarquez la composition du mot : avidya. Le "a" est privatif de "vidya", la connaissance. Cela suggère que nous sommes déjà "connaissant" cependant que nous n'avons pas accès à cette connaissance. Voyez comme la traduction par le terme "ignorance" peut prêter à confusion, c'est le cas de le dire ! "In-science" conviendrait mieux. C'est comme un millefeuille, cette chose quasiment impossible à manger sans en mettre partout : en bas la connaissance, et au-dessus les délicieuses couches de crème et de pâte s'empilant jusqu'au glaçage sucré de notre mental. L'ouverture de notre bouche est trop petite. Alors, nous mangeons les premières couches, puis nous commençons à comprendre la géographie du gâteau et attaquons les couches successives.

- Jusqu'à trouver la base ?

- Oui. Et cela prend beaucoup de temps. En fait, c'est une entreprise absurde car à la fin vous devrez déterminer l'épaisseur de "la couche illuminée". Et ce qui est déterminé ne saurait être absolu. Votre seule chance, l'ultime salut, c'est de manger la dernière couche. Alors, il n'y a plus rien ! En d'autres termes, si vous êtes centrée sur une vision samsârique, vous ne rencontrerez que déception et vous aurez besoin d'un autre millefeuille. Il n'y a pas de satisfaction. C'est le ressort de la boulimie. Le samsâra est la boulimie des expériences insatisfaisantes.

- Je dois donc être centrée sur une vision éveillée...

- Impossible. Soit vous êtes éveillée, et donc déjà centrée et tout Dharma serait un fardeau à porter, soit vous ne l'êtes pas et n'avez aucune d'idée de ce peut être une vision éveillée.

- Je peux retourner le millefeuille. Ce qui est en haut est en bas, et inversement.

- Ça ne change rien. C'est de la manipulation. Vous êtes le millefeuille. Si vous le retournez, vous tournez avec et le poids du samsâra vous écrase. Nous faisons tous cela à certains moments. Par exemple lorsque nous nous sentons si misérables que nous voulons nous élever spirituellement. Nous croyons que la Base est dans le Ciel. Mais le ciel n'est pas Akash, l'espace insondable, sans dimension, pur et non-né.

maya- Je comprends. C'est toujours cette question de déjouer la Mâya... On se laisse prendre à ses propres pièges parce qu'on utilise les outils du piège lui-même.

- Oui. Vidya échappe au mental. Mais c'est pourtant votre savoir fondamental. Le Tantra dit : "Mange tout le millefeuille, d'un coup !" Il n'y a pas de millefeuille en soi, seulement des couches qui s'empilent. La Base, c'est précisément l'absence de base (ou d'essence), ce pour quoi on met une jolie majuscule à ce mot creux. Dès que nous commençons à nous douter de cette plaisanterie, nous devrions tout manger, lâcher l'affaire et maintenir l'esprit en sa propre place.

Dans le Mâhamûdra, on a inventé le concept de "Vue Philosophique" en tant que moteur de la Voie. Cela signifie d'avoir compris, ne serait-ce qu'intellectuellement, que chaque phénomène de l'existence procède d'une cause alors qu'il n'est ni cette cause ni séparé d'elle, ni autogénéré, ni procédant d'une autre. C'est la définition philosophique de la vacuité (shunya). Lorsque le mental est face à cette vérité déductive, il cesse de produire ses affabulations, et l'esprit peut enfin respirer. Il s'ouvre et vient nourrir votre chemin de vie.

Ensuite, tout est facile et simple. Et le Tantra vous conduit directement à ce que vous êtes. Ou bien il vous y ramène si vous vous égarez. Finalement, tout porte fruit et rien ne peut vous détruire, pas même la mort. C'est la voie facile. Il faut juste arrêter de se droguer.

- Et après ?

- Après n'existe pas. Pas plus qu'avant. C'est merveilleux ! Alors, vous pouvez penser aux autres et laisser couler votre amour. D'aucun disent qu'il est divin. Ça fait joli et envie. Mais ça aussi c'est de la com'.

- Ah ! Je me demandais quand nous allions parler d'amour...

- Nous aurions pu commencer par là. Ça revient exactement au même."

 

Glossaire

  • Avidya : "L'ignorance est une méprise accidentelle, un oubli soudain qui ne change rien à la nature ultime de l'esprit, mais crée une chaîne d'illusions, comme le cauchemar ne change rien au fait que l'on est confortablement allongé dans le lit mais n'en peut pas moins engendrer une grande souffrance mentale." (Matthieu Ricard dans le Moine et le Philosophe(.
  • Maya : "Le vrai ciel sait que samsara et nirvāna sont le déploiement d'une pure illusion."(Mipham Jamyang Gyatso dans Quintessential Instructions of Mind).
  • Akash : Ether, Espace. Substrat vide, indivisible, éternel, tout pénétrant et imperceptible d'où nait tout ce qui est.
  • Shunya : Vacuité d'existence propre, nature des phénomènes existant en interdépendance. "La vacuité n'est ni le néant ni un espace vide distinct des phénomènes ou extérieur à eux. C'est la nature même des phénomènes. Et c'est pour cela qu'un texte fondamental du bouddhisme, le Soûtra du Cœur, dit : "La vacuité est forme et la forme est vacuité". D'un point de vue absolu, le monde n'a pas d'existence réelle ou concrète. Donc, l'aspect relatif, c'est le monde phénoménal, et l'aspect absolu, c'est la vacuité. […] Les phénomènes surgissent d'un processus d'interdépendance de causes et de conditions, mais rien n'existe en soi ni par soi. La contemplation directe de la vérité absolue transcende tout concept intellectuel, toute dualité entre sujet et objet." (Matthieu ricard dans Le Moine et le Philosophe).
  • Samsâra : cycle sans fin des existences successives. Par extension, réitération des habitudes du corps, de la parole et de l'esprit. L'existence est conditionnée par le karma, lui-même produit par les actes et la soif qui en découle. Ce n'est pas un être qui renaît, ni un autre, mais un processus impersonnel duquel le nirvâna est la cessation.
  • Nirvâna : Cessation du samsâra, de maya, d'avidya, et donc des souffrances qui y sont liées. L’Éveil (bodhi) est l'expérience du nirvâna bien qu'il ne soit pas un objet pour le sujet. Samsâra et nirvâna étant tous deux dénués de nature propre, on peut affirmer leur égalité foncière. D'où la question de la quête de ce que l'on possède déjà...

One comment

  1. Sylvain

    Navjeet ou comment exprimer l’inexprimable (la Claire-Lumière)! 🙂
    Utilisant la forme d’un dialogue concis, clair et dynamique, tu parles de la Claire-Lumière, du Nirvana, du Samsara, d’Avidya, pour finir sur Shunyata…
    Grandiose!

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